Passerelle jetée sur un nouveau monde
Le Bar Les Passerelles est aujourd’hui le lieu parisien incontournable pour qui souhaite aller à la rencontre des whiskies français. Ceux de la Maison Benjamin Kuentz ont donc naturellement trouvé leur place sur les étagères et le comptoir de l’établissement animé, entre autres, par Lilya Sekkal, intarissable sur le sujet et qui partage avec la jeune maison le goût des belles histoires, au-delà d’une simple histoire de goût pour le whisky. Un subtil blend de douceur, de détermination et d’énergie. Voilà ce qu’inspire de prime abord Lilya Sekkal, visiblement blessée à la jambe, et qui sautille vers nous tout sourire pour une petite heure de conversation volée à l’agenda de son après-midi bien rempli. Ce petit brin de jeune femme, originaire de Nantes et arrivée à Paris autour de ses vingt ans, est aux commandes des Passerelles, le premier bar, par le nombre de références, des whiskies Made in France (120 exactement au dernier recensement). Il est hébergé au sein de l’hôtel Le Parister, adresse chic et confidentielle nichée rue Saulnier dans le 9ème arrondissement de Paris. Lilya Sekkal, malgré son jeune âge, a déjà derrière elle une longue expérience des produits de bouche et des spiritueux en particulier. Elle a commencé par s’occuper de torréfaction dans une épicerie fine, puis fait ses classes « alcool » au 35 Tours, un bar spécialisé dans le vin et la bière avant de passer une année à La Conserverie. Etablissement qui lui aura permis d’acquérir véritablement l’art de la mixologie. Mais c’est au Golden Promise, le bar de La Maison du Whisky, qu’elle finit par prendre ses marques avec ce spiritueux, parmi plus de 1000 noms, en tant que chef Barman. Lilya travaillait plus particulièrement avec les whiskies les plus contemporains, comprendre « les plus tourbés ou terreux » curieusement et exit les comptes d’âge. Passionnée, connaisseuse, elle aime rappeler la magnifique complexité du whisky. Ce qui l’enthousiasme avant tout : « Avec lui, on dispose d’une vraie richesse expressive grâce à une palette aromatique extrêmement large. Derrière chaque distillerie, il y a une histoire à raconter ». On comprend d’emblée ce qui a pu la séduire dans la proposition de la Maison Benjamin Kuentz, elle-aussi soucieuse de mettre au cœur de sa démarche, un projet de narration. A cette jeune experte des whiskies nationaux, on pose la question de leur « typicité » s’il nous est permis d’emprunter ce terme à l’univers du vin. Comme souvent, elle commence par répondre en creux, disant ce que les whiskies français ne sont pas. Si les whiskies Ecossais se caractérisent d’abord, selon Lilya Sekkal, par un goût sucré, gras, tourbé, les Japonais se distinguent par leur délicatesse et cet aspect « bien mêlé, fondu ». On leur doit sans doute aussi d’avoir décomplexé le reste du monde face au monopole historique des Ecossais et des Américains et d’avoir donc ouvert la brèche aux Français. Leur patte ? Lilya se lance : « Sans doute, une grande diversité dans les stratégies de vieillissement ». Et d’ajouter : « Les whiskies Français témoignent d’un goût certain pour l’expérimentation ». Si l’on en juge la diversité des acteurs qui composent le paysage hexagonal, on ne peut qu’acquiescer. Entre les producteurs d’eaux de vie qui se lancent tous azimuts dans le whisky pour donner un nouveau souffle à leur activité, les distilleries qui veulent véritablement se concentrer sur cette production et les brasseurs qui viennent tâter le terrain, on a l’embarras du choix. On est en peine de situer la Maison Benjamin Kuentz dans ce panorama. Lilya Sekkal y vient. « Les whiskies de Benjamin, c’est encore autre chose. Un nouvel affineur porté par l’envie de raconter une histoire un peu différente. Il a clairement la volonté de casser les codes du whisky traditionnel, d’échapper à la « technique » pour être davantage dans l’émotionnel. Et par là même, de faire découvrir ce spiritueux à de nouveaux profils de consommateurs ». C’est très net avec (D’un) Verre Printanier, ode au printemps, à la fraîcheur, que Lilya Sekkal comprend sans ambiguïté comme un whisky d’initiation. Fin de Partie au contraire ramène vers le fruit cuit, des notes légèrement vineuses. Plus de corps, assurément. Le Guip évoque à la chef barman un courant d’air puissant qui ferait claquer les portes. Aux Particules Vines vient tout juste de lui être livré. Première dégustation en direct, Lilya se laisse porter : « On est à l’entrée d’un chai ou au cœur de la mousson. Cela laisse un voile, une impression de peau de pêche en bouche. C’est tout doux, presque poudré ». Puis se reprend, avec l’assurance qui la caractérise aussi : « typiquement un whisky d’apéritif ». De quoi intriguer sa clientèle qui se laisse volontiers guider par la curiosité. Peut-être bien, en fin de compte, la caractéristique première des whiskies français : ce sont des objets de curiosité qui ouvrent sur d’autres histoires, en plus de mettre à l’honneur des notes gustatives inédites. La carte des Passerelles compte aujourd’hui la moitié de ses cocktails créés à partir de whiskies Français. On ne peut donc qu’encourager les curieux, les découvreurs, les aventuriers de tous bords à franchir la porte de cet établissement unique en son genre.